22 - Tahiti, capitale du Street Art
- Jo et Jo

- 20 juin 2020
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 juil. 2020
Quand on arrive à Papeete, on s’attend à voir du soleil, des cocotiers, des lagons bleu turquoise, des individus tatoués, des fleurs en couronne sur la tête ou sur l’oreille et des fruits à profusion.
Cette image de carte postale n’est pas usurpée, même si cette première impression de Polynésie est rapidement supplantée par la beauté plus sauvage de la nature, hors de la ville ou dans les îles avoisinantes.
Papeete a un peu perdu son âme et veut ressembler à une ville moderne, formattée et standardisée. La mise en place de feux tricolores sur l’avenue principale du centre-ville va remplacer les sympathiques warnings des autos ralentissant et s’arrêtant pour vous faire traverser.
Les bus électriques flambants neufs ont remplacé les trucks pittoresques. Papeete se banalise hélas en cédant aux appels du progrès.
Mais tout n’est pas perdu et certains aspects révèlent un mariage réussi entre modernité et tradition. En effet, en se promenant dans la ville, on se prend à lever les yeux pour admirer des fresques gigantesques sur les murs d’immeubles. C’est le « street art », ou art urbain. Il ne s’agit pas de tags qui maculent les murs et devantures – même s’il en a parfois - mais de véritables œuvres d’art qui font l’objet d’un festival annuel avec des artistes venant du monde entier. Il est appelé ONO’U (la rencontre des couleurs, en tahitien) et existe depuis 2014. Ces œuvres d’art transforment la ville en véritable musée à ciel ouvert, public et gratuit.
Ces fresques sont disséminées un peu partout et chaque coin de rue offre la surprise d’un dessin original, parfois comportant des messages cachés, des allégories, des témoignages. C’est une bonne raison pour se perdre dans les rues, flâner, à la recherche de ces peintures de tous formats. Nous ne reproduisons ici que les dessins les plus emblématiques, qui représentent moins de la moitié des peintures présentes en ville…
Les plus célèbres sont sans doute ces vahinés visibles en plein centre-ville, celle de gauche ayant de loin notre préférence. Comment ne pas penser à cette chanson de Demis Roussos reprise par les Kids United :
« On écrit sur les murs les noms de ceux qu’on aime
Des messages en forme de graffiti
On écrit sur les murs à l’encre de nos veines
On dessine tout ce qu’on voudrait dire »
Celle de droite est emblématique de Papeete et représente une jeune Tahitienne en paréo à motifs rouges, allongée sur un paréo de mêmes couleurs.
Cette fresque cache plusieurs messages, presque invisibles. Un champignon atomique près des genoux de la jeune fille est le symbole de la radioactivité sur son corps, témoin d’essais nucléaires sur le sol polynésien, à Mururoa. Tout en haut de l’œuvre, un œil au sommet d’un triangle ou d’une pyramide, est le symbole de la suprématie dans la franc-maçonnerie.
Cet art des rues est devenu un motif de visite à part entière de Papeete et commence à se répandre dans les autres îles, comme à Raiatea et à Bora Bora.
La femme est souvent le sujet principal d’inspiration, qu’elle soit représentée de manière traditionnelle ou plus moderne et les supports sont parfois des plus basiques, comme des murs de parking ou de friches industrielles.
Parfois, l’artiste ose une fresque originale, comme ces robots en trompe-l’œil en 3D sur la terrasse de la gare maritime. Il y a un point précis qui permet de voir dans ses bonnes proportions. Ce lieu est peu connu car non visible depuis la rue et peint à l’horizontale.

Même certains véhicules ne dérogent pas à la mode ambiante, comme celui-ci - le truck de la Miséricorde - devant la cathédrale Notre Dame de Papeete… pour des évangélistes en « habits ça sert d’auto »…

De même, certains édifices publics sont joliment décorés comme ce distributeur de billets ou cette armoire électrique.
Presque en face de la Marina de Papeete, devant la place Jacques Chirac, au début des jardins de Paofai se trouve la fresque massive du drapeau polynésien, qui met en valeur de nombreux symboles de la culture du fenua. A quelques centaines de mètres, c’est un tigre majestueux qui empli tout un mur d’immeuble.

Parmi les œuvres favorites du street art de Papeete, une belle Vahiné en paréo rouge et blanc, une fleur de tiare à l’oreille, ramant dans une pirogue décorée de motifs Polynésiens, sous un joli arc-en-ciel dessiné par une colombe. Mais est-elle vraiment si pacifiste cette fresque ?
En y regardant bien, on comprend qu’il y a la coque d’un navire derrière elle et que l’arc en ciel renvoie en fait au "Rainbow Warrior", vaisseau de l'organisation Greenpeace venu protester contre les essais nucléaires dans les eaux polynésiennes en emmenant une flottille de yatchs à ses côtés et qui a coulé le 10 juillet 1985 suite à l’opération des services secrets français.
Les artistes viennent de très loin pour composer leurs œuvres, comme l’australien Adnate qui a réalisé ce visage d’une chinoise vivant à Tahiti et qu’il a croisé au marché de Papeete, mettant en avant les traits particuliers de ce visage et la mixité sociale de l’île de Tahiti.

L’artiste Kobra a fait le déplacement à Tahiti. Depuis le Brésil et présente 2 vahinés avec la couronne de fleurs, les vêtements en pandanus (feuilles de palmier) et la peau en carreaux colorés symboliques de l’artiste.

Autre vahiné, autre style peint par FinDac, un artiste irlandais. Ici une femme plus contemporaine avec une robe moderne, mais avec des motifs polynésiens et un masque bleu de super-héros sur les yeux, un oiseau de Tahiti dans chaque main.

La Vahiné de Vinie a été composée en 2018. Elégante et colorée, cette vahiné typique de l’artiste, avec sa chevelure imposante, est ici coiffée de tiares et de fleurs d’hibiscus.

Durant nos séjours à Papeete, nous avons vu beaucoup de fresques et chaque jour nous dévoile de nouvelles surprises.
On en vient même à voir des murs nus qui seront candidats à de nouvelles œuvres pour les prochaines éditions…
Cet art populaire et exigeant a essaimé dans les autres îles de la Société. Il nous été donné de voir les suivantes à Bora Bora.
A Raiatea, nous avons croisé à nouveau le regard ingénu et espiègle de la vahiné de Vinie, avec sa couronne d’hibiscus et de fleurs de tiare.
Cet artiste un style bien à lui qui fait penser à celui de Francisque Poulbot qui a rend célèbres les petits gavroches parisiens…

Et bien sûr le symbole de l’île de Raiatea, la fleur de tiare Apetahi, plante endémique de cet endroit, si fragile et menacée avec ses 5 pétales répartis en demi-cercle.
D’autres fresques empruntent des codes plus récents, détournant au passage la devise Jedi « Que le Mana (l’esprit, la puissance) soit avec toi »…
Pour conclure, on découvre ici des œuvres de toutes tendances et chacun peut y trouver son coup de cœur. Cet hymne à la peinture populaire de rue en Polynésie trouve peut-être ses racines dans la vie de Paul Gauguin, cet artiste impressionniste qui a quitté la France en 1891 pour trouver l’inspiration en Polynésie et a été pour beaucoup dans la notoriété de Tahiti.
Rentré en France en 1893 avec une quarantaine de toiles, il reçut un accueil mitigé. Il revint à Punaauia au sud de Papeete pendant 6 ans puis finira sa vie à Hiva Oa, dans l’archipel des Marquises. Il y peindra quelques-uns des plus grands chefs-d’œuvre de l’art moderne mais mourra dans la solitude et le dénuement en 1903. Il est devenu avec le temps une icône polynésienne et ici les rues, les écoles, les magasins, les bateaux portent le nom de Paul Gaugin.
Lors du festival ONO’U 2017, l’artiste Okuda a réinterprété à sa manière le tableau de Gauguin “La femme au fruit”. N’oublions pas que la toile d’origine avait choqué à l’époque pour sa transgression des codes de l’art académique – comme la plupart des impressionnistes d’ailleurs - et n’avait pas rencontré le succès qu’elle a connue depuis.



























































Commentaires