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66 - Aïda, la princesse d'Assouan

  • Photo du rédacteur: Jo et Jo
    Jo et Jo
  • 6 juil. 2024
  • 10 min de lecture

Ce blog relate, au fil de ses 66 post déjà publiés, des expériences tirées de voyages, en Polynésie, en Grèce ou aujourd'hui en Egypte.

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Le présent article "Aïda, la princesse d'Assouan" présente le roman tiré de ma découverte en 2023 de deux semaines dans l'Egypte des pharaons, du Caire à Assouan, avec un périple de 5 jours et de 4 nuits sur un dahabieh, "La flâneuse du Nil", bateau à voile traditionnel transformé en élégant esquif de croisière. Pour les besoins du roman, l'histoire se déroule sur un autre bateau mythique, le Soudan, où Agatha Christie écrivit "Mort sur le Nil".

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La visite du musée égyptien au Caire, les pyramides de Gizeh et de Saqqarah, la vallée des rois et des reines à Louxor, l'atmosphère surannée du Winter Palace, le temple du dieu crocodile Sobek à Kom Ombo et du dieu faucon Horus à Edfou, les cataractes d'Assouan, l'île de Philae et son temple d'Isis, le lac Nasser..., autant d'émotions à retranscrire dans cette oeuvre de pure fiction qui s'appuie sur l'histoire ancienne et récente de l'Egypte, faisant intervenir des personnages historiques, dans une romance couvrant deux générations.


L'histoire de ce pays et de la civilisation de l'ancienne Egypte a fait rêver des générations d'aventuriers, en particulier des français. De Bonaparte au pied des pyramides à Jean-François Champollion qui déchiffra les hiéroglyphes voici deux siècles, en passant par François Auguste Mariette qui sauvegarda les trésors du pillage colonial, créa le musée du Caire et fut élevé au rang de pacha par le vice-roi d'Egypte.

En remerciement pour son apport déterminant à l'égyptologie, l'Egypte offrit à la France l'obélisque de Louxor qui devint le monument le plus ancien de Paris. Mariette fut de plus chargé du livret de l'opéra "Aïda" de Guiseppe Verdi, d'après une légende qu'il avait tirée d'un papyrus ancien, ainsi que les costumes et les décors pour la première représentation de l'opéra donné pour l'inauguration du canal de Suez.


Cet événement fit intervenir un quatrième "grand français" en la personne de Ferdinand de Lesseps, né à Versailles en 1805 et promoteur du percement de l'isthme du Suez.


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Deux siècles plus tard, mon propre parcours croisa le sien, lors d'une célébration à l'hôtel de ville de Versailles.


Etant président d'une association de reconstitution de danses du XIXème siècle, je revêtais le costume vert d'académicien, le bicorne, la grand-croix de la légion d'honneur et me teintais les cheveux en blanc pour figurer l'illustre versaillais lors du bicentenaire de sa naissance, tandis qu'un orchestre venant du Caire jouait des extraits d'Aïda devant un public sélectionné.


Ce souvenir datant de près de 20 ans, associé à mon voyage de l'année dernière, a donné lieu à l'écriture de mon second roman, appelé "Aïda, la princesse d'Assouan".


Comme le précédent roman "Titouan, un retour aux origines", ce nouveau roman est publié en autoédition auprès de l'éditeur BOD, mais est également référencé sur une quinzaine de plateformes telles que Fnac, Amazon, Cultura, Decitre, Eyrolles, Furets du Nord, ...


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Il est disponible sur commande en cliquant sur le lien suivant :




Voici un extrait du premier chapitre :


Le bal de Lesseps

 

Aïda s’engouffra vivement dans les couloirs de la gare d’Austerlitz, portant une volumineuse housse dans laquelle elle avait logé une cage de crinoline savamment repliée, une grande robe de soirée en taffetas de soie sauvage beige écru réhaussée de dentelle bleu violine et de nombreux jupons destinés à atténuer la marque des cerceaux d’osier sur le tissu.


Accompagnant ces envahissants atours, une valise rassemblait ses chaussures de danse à semelle de buffle, un corset ancien à lacets, une longue culotte fendue, des gants de dentelle et des boucles anglaises frisotées, indispensables pour parachever sa toilette. Un nécessaire de maquillage, des bijoux, un éventail, un réticule et quelques affiquets complétaient la tenue de cette jeune fille moderne qui allait se transformer le temps d’une soirée en dame de la bourgeoisie du second Empire.


A vingt-trois ans, Aïda irradiait du rayonnement insolent de la jeunesse, avec son physique gracile et son sourire désarmant de candeur. Elle avait la tête bien faite et la pétillante intelligence d’une élève brillante. Comme sa maman Anne, qui l’accompagnait dans cette expédition, elle s’était orientée vers des études d’art et d’histoire, au diapason de son extrême sensibilité lui faisant rechercher harmonie et beauté en toutes choses.


De ses années de jeunesse à fréquenter assidument les cours de danse classique, elle avait conservé une démarche féline qui semblait la mouvoir avec la légèreté d’une plume. Elle s’était reconvertie, quand son corps était devenu celui d’une femme, vers les danses de société en vogue au XIXème siècle, remisant ses pointes et son tutu, comme une parenthèse qu’on referme. Les rêves d’étoiles se brisent souvent sur la cruelle sélection des petits rats et des choix de vie jonchés de sacrifices hors de portée de celles qui n’ont pas le feu sacré.


La compagnie de danse dans laquelle elle évoluait depuis quatre ans faisait revivre les bals bourgeois d’autrefois, à grands renforts de quadrilles, de valses, de polkas, de mazurkas ou de scottishes. Au-delà de la danse strictement encadrée par des chorégraphies rigoureuses inventées et diffusées par les maîtres à danser des siècles passés, il fallait tenir compte de tout un univers de reconstitution à respecter scrupuleusement. Il était dès lors inconvenant de prétendre raviver ce monde suranné et délicat en affichant un de ces anachronismes inacceptables comme arborer des cheveux courts ou colorés, des lunettes modernes, un bracelet-montre, un téléphone portable, un tatouage ou un piercing…


Aïda et Anne avaient difficilement trouvé place dans le RER bondé qui les conduisait jusqu’à Versailles en cette fin d’après-midi. Leurs bagages encombraient l’entrée de la rame et généraient des remarques désagréables et des regards mi-étonnés ou mi-réprobateurs de passagers abrutis par la monotonie de leurs transports quotidiens.


Le rendez-vous versaillais était d’importance. En cette fin septembre de l’année 2005, la ville du roi-soleil célébrait avec faste le bicentenaire de la naissance d’un illustre natif de la cité en la personne du comte Ferdinand de Lesseps. C’était toute une vague orientale qui déferlait avec effervescence sur cette ville d’ordinaire si paisible. Il s’agissait d’honorer le chef-d’œuvre de l’impétrant, ce fameux canal de Suez inauguré en 1869 en présence de l’empereur autrichien François-Joseph et de l’Impératrice Eugénie, dont Lesseps était le petit-cousin. L’histoire ne retint pas que cet homme prolifique, académicien, grand-croix de la Légion d’honneur, fut également le géniteur de dix-sept enfants, le dernier conçu à l’âge canonique de soixante-dix-huit ans !


La place des manèges, face à la gare Rive Gauche, accueillit Aïda et sa mère dans un souk plus vrai que nature. Deux chameaux mastiquaient nonchalamment, l’œil vague, détachés de l’animation bruyante et joyeuse. Près d’eux, des tentes berbères, festonnées de tapis et d’ustensiles en cuivre, proposaient des pâtisseries orientales dégoulinant de miel. Au son des musiques arabisantes, des danseuses du ventre attiraient le chaland, tandis que des bédoins fumaient le narguilé, assis en tailleur sur un coin de kilim richement décoré. Face à ce bazar coloré se dressait l’aile ouest de la mairie, édifice majestueux dans lequel elles devaient se rendre. Le grand hall d’accueil tenait lieu de salle d’exposition, avec des eaux-fortes, des plans du canal, et des objets ayant appartenu au perceur de l’isthme de Suez.

A l’étage, face à l’escalier de marbre, la grande salle de réception se préparait à accueillir le bal en costumes animé par la compagnie d’Aïda devant un public sélectionné et la fine fleur de la presse régionale.


Parmi les personnalités les plus éminentes, on comptait l’ambassadeur d’Egypte à Paris, l’arrière-petit-fils de Ferdinand de Lesseps, madame Alix de Foresta, portant le titre de princesse Napoléon depuis son mariage avec le chef de la maison Bonaparte, ainsi que quelques académiciens, vénérables représentants de l’Institut de France chapeautant les cinq académies.


Pour accompagner d’un récital classique ces festivités commémoratives, une formation de musiciens de l’opéra du Caire avait fait le déplacement pour interpréter opportunément quelques extraits célèbres de l’opéra « Aïda » de Guiseppe Verdi.


Ce drame célèbre, référence iconique du bel canto italien, avait été commandé tout spécialement par le khédive Ismaïl Pacha pour rappeler la cérémonie d’inauguration du canal de Suez. Le français Auguste Mariette, le père de l’archéologie égyptienne, avait fourni l'idée du livret, défini les costumes et les accessoires et supervisé le travail de mise en scène afin que le spectacle fût conforme à ce que l’on savait de l’ancienne Egypte. Et comme rien n’était trop beau, l’opéra khédival du Caire fut spécialement construit pour l’événement.


Aïda était fébrile et excitée. Elle n’était pas là par hasard. Les organisateurs avaient souhaité tirer parti de son prénom éponyme de l’œuvre du maestro, comme une évocation directe du thème de la soirée.


Outre l’opportunité de son prénom, sa peau légèrement hâlée avait été mise en avant par le président de sa compagnie pour offrir aux organisateurs un charme supplémentaire à l’événement. Séduits, le maire et son chef de cabinet avaient plébiscité la présence d’Aïda et proposé qu’elle trônât en majesté au pied de l’orchestre pendant le petit concert. Peu importait pour les édiles versaillais que la véritable Aïda de l’opéra de Verdi fût une esclave éthiopienne à la peau noire et non une jeune femme blanche en robe à crinoline de soie …

Elle était arrivée longtemps avant les autres danseurs de la troupe afin de s’apprêter dans un bureau municipal transformé en loge improvisée. Sa maman assurait à ses côtés le rôle de dame d’atours. Corolaire incontournable des tenues des dames de la bonne société du second empire, il lui était totalement impossible de s’habiller seule. Il fallait tout d’abord lacer fermement le corset qui venait comprimer le ventre de manière à sublimer sa taille de guêpe, puis ceindre la cage de crinoline et enfin la recouvrir de multiples jupons pour atténuer les marques des cerceaux. Le corset ancien à baleines métalliques s’apparentait à un objet de torture, conçu par le désir effréné des hommes d’assujettir le corps de la femme à leurs fantasmes. Serrant la taille pour exhiber généreusement la poitrine et arrondir les hanches, cet instrument de martyre interdisait aux pauvres victimes souvent consentantes de se nourrir et les exposait très fréquemment au risque de spectaculaires pamoisons ranimées par l’usage d’un flacon de sels d’ammoniaque.


Ce supplice qui sculptait un résultat hypertrophié des courbes de la femme, prenant alors la forme d’un sablier, trouvait une justification prophylactique ou scientifique plus ou moins douteuse. Il se trouvait toujours une sommité de la médecine - un homme bien sûr - pour affirmer que cela imposait une distance nécessaire entre les personnes pour se protéger des maladies aéroportées telles que la grippe, la tuberculose ou la rougeole, très virulentes à l’époque. A prolonger cette mauvaise foi caractérisée sous couvert de protection virale, force est de reconnaitre que la robe à crinoline et l’éventail étaient plus seyants qu’un masque chirurgical…


La taille de la robe confinait parfois au ridicule. La circonférence au niveau de l’ourlet pouvait atteindre jusqu’à six mètres. A l’origine formée à partir de crin de cheval, d’où elle tirait son nom, la crinoline avait pris de l’ampleur au fil du XIXème siècle pour arborer des volumes de plus en plus impressionnants. Dans le même temps, les hommes avaient vu leurs chapeaux haut-de-forme s’allonger de manière analogue, marque ostensible de leur réussite sociale, à même proportion que leur embonpoint.


La robe d’Aïda restait heureusement de taille modeste, adaptée à sa taille fine et à la nécessité de se mouvoir et de danser sans trop de gène.


Les préparatifs de la parure se terminèrent avec la coiffure, relevée en un chignon complexe d’où s’échappaient de savantes boucles. Un collier de perles et un discret diadème agrémentaient le tout. Le maquillage, discret, parachevait la touche finale à l’issue de deux heures d’un apprêt minutieux.


Le résultat était à la hauteur des promesses. La fraîche sylphide possédait naturellement ce port de reine qui la transfigurait et la transportait cent-cinquante ans plus tôt au sein de l’ambiance élégante de la bourgeoisie et de la noblesse du second empire. Mettant ses gants, saisissant son réticule dans lequel elle avait glissé son éventail, elle embrassa sa maman avant de se diriger dans la grande salle où les musiciens accordaient leurs instruments à cordes en de courtes complaintes grinçantes.


Son entrée dans la pièce intima le mutisme immédiat des violons et des violoncelles, dans le temps suspendu d’une apparition angélique.

Elle prit place au bord de l’estrade sur un petit piédestal, à deux mètres du premier violon, dans un fauteuil voltaire de velours bordeaux installé à son intention. Il n’était que temps, les premiers invités de marque prenaient place sur les deux rangées qui leur étaient réservées aux premiers rangs.


Ces personnes élégamment vêtues, d’une prestance raffinée, impressionnèrent la jeune femme. Même à l’opéra Garnier, les gens ne s’habillaient plus de manière aussi distinguée pour assister aux œuvres lyriques. Le charme, la coquetterie d’antan étaient relégués aux oubliettes d’un passé pourtant pas si lointain. Tout allait trop vite de nos jours.

La tenue qu’elle arborait incarnait à elle seule ce que les femmes modernes rejetaient. L’heure n’était plus aux tenues élaborées, féminines, compliquées. Pourtant, elle se sentait en harmonie avec sa nature profonde dans sa mise raffinée.


Avec un art consommé quoique inné de la comédie, jouant de son éventail, elle posait en majesté, dans cette salle aux boiseries dorées, sous les lustres de cristal aux multiples pendeloques. Ce privilège et cette lumière sur elle ne l’étourdissaient pas plus que de raison. Elle profitait simplement de tout son être de l’instant magique qui lui était offert, plus en suspension qu’écartelée entre le XIXème et le XXIème siècle. Lucide, elle savait que son apparence d’un soir n’était qu’une petite partie de sa personnalité. Toute sa vie jusqu’à ce jour en attestait.


Elle chercha vainement à deviner qui était la princesse Napoléon parmi les dignitaires du premier rang, mais aucun indice, aucune ressemblance ne put l’aider dans sa recherche. Elle ignorait quel âge pouvait avoir cette descendante, sans doute par alliance, de l’empereur des Français.

Toutes les dames présentes dans le carré d’or avaient cette noblesse dans la posture et le maintien, le raffinement discret dans les robes et les bijoux, les bonnes manières d’une éducation bourgeoise désuète qui symbolisaient jusqu’à la caricature les mœurs des vieilles familles versaillaises.


L’âge moyen de l’assistance était plus que respectable. Tout ce que la municipalité comptait de corps constitués avait reçu le précieux bristol et s’était empressé de répondre favorablement à l’invitation. Pour une fois, l’événement ne se déroulait pas au château du roi soleil et chacun de ce que le "tout-Versailles" comptait de happy few voulait « en être », comme on disait de nos jours.


Parmi cet aréopage de bourgeoisie d’âge mûr, un jeune homme d’une trentaine d’années, assis au premier rang, aimanta l’attention d’Aïda. Leurs regards se croisèrent pour ne plus se quitter. Enfreignant tout protocole, il se leva et vint saluer la jeune femme d’un baise-main en lui faisant compliment pour sa classe et sa beauté. Ce jeune homme, fin et racé, se présenta comme attaché culturel auprès du ministre égyptien, venu spécialement du Caire pour la célébration.


Son regard d’un noir perçant, ses cheveux de jais, sa fine moustache, son sourire charmeur lui donnaient un air de famille avec l’acteur égyptien Omar Sharif à trente ans, dans Lawrence d’Arabie ou Docteur Jivago. Il émanait de lui un charisme irrésistible dont il avait une conscience aigüe et une manière de caresser des yeux qui semblait percer les plus intimes secrets.


Il parlait un français parfait, avec un léger accent qui apportait une touche d’exotisme à son charme naturel. Il se prénommait Kamal. Aïda ne retint pas le reste de son nom.

Avant de s’en retourner s’asseoir parmi les invités, il sollicita le privilège de danser la première valse de la soirée avec la jeune femme qui accepta, déjà sous le charme.


La soirée allait être très belle…


 
 
 

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