40 - Ua Pou
- Jo et Jo

- 24 févr. 2021
- 11 min de lecture
L'île de Ua Pou est une petite île de 105 km². 2200 habitants y vivent, principalement dans la capitale Hakahau.


Elle fut découverte en 1791 par le capitaine marseillais Etienne Marchand qui réalisa un tour du monde à bord du 3 mâts "Le Solide", dans le but de créer un commerce de fourrures entre l'Amérique du Nord et la Chine.
Un changement de route imprévu lui fit découvrir du 15 au 21 juin 1791, le groupe nord-ouest des îles Marquises, ignoré par Cook dans son voyage de 1774.
Doublant le cap Horn en avril, il naviguait directement vers la côte nord-ouest d’Amérique quand on s’aperçut à bord que l’eau s’était corrompue dans les tonneaux et qu’il fallait la renouveler.
Marchand se décida pour les Marquises, dont seules les îles du sud étaient connues et qui ne l’écartaient pas de sa route. Le 12 juin, il était en vue de Fatu Hiva.
En quittant Tahuata, le 20 juin, Marchand aperçut dans le nord-ouest une tache fixe qui prenait la forme d’un pic au-dessus du niveau de la mer.
Les cartes ne signalaient aucune île, et Marchand fit voile vers ce qu’il devinait être une terre inconnue. Il eut le plaisir de découvrir ainsi l’archipel formé par les îles de Ua Pou, Ua Huka, Nuku Hiva, Eiao et Hatutu.
Les relations entre les indigènes et les marins français furent très amicales, ce qui était rare à l’époque, les nombreuses « découvertes » des îles par des européens se soldant souvent par des massacres.
Sans doute était-ce dû au fait que l'île comptait plus de 25 tribus toutes réunies sous l'autorité d'un seul chef, ce qui était chose rarissime.
En général, les tribus se faisaient toujours la guerre et il était de tradition de manger ses prisonniers, ce qui a colporté longtemps l’image des marquisiens comme d’un peuple cannibale.

Le capitaine Marchand pris possession de l'île au nom du roi Louis XVI en juin 1791, mais quelque temps plus tard il baptisa les îles du groupe nord des Marquises... les îles de la Révolution.
En ces temps troublés et incertains, sans communication avec la France si lointaine - sans WhatsApp et Internet - il était difficile de savoir à quel régime politique il appartenait.
Il était donc plus prudent de jouer sur les deux tableaux…
La Terre ayant fait sa révolution pendant la nuit de navigation au portant tapissée d’étoiles, c’est le même soleil rougeoyant qui apparait en majesté à l’horizon à 5h30 du matin pour éclairer l’île de Ua Pou déjà toute proche.
Nous abordons l’île en longeant une île aux oiseaux. Nombreux sont ceux qui viennent tournoyer autour du bateau.
Ua Pou doit son nom d’"Ile des Piliers" ou d’ « île cathédrale » à son architecture grandiose. D'un axe central formé par une chaîne haute, dont le mont Oave qui culmine à 1203 mètres, surgissent de spectaculaires aiguilles basaltiques.
Ces pics spectaculaires donnent au paysage une force impressionnante.
L’érosion a produit une douzaine de pitons appelés necks et qui donnent l'illusion de porter au centre de cette île un immense palais hérissé de hauts donjons comme le « Château de la belle au bois dormant » de Disneyland.
Gênés par la présence du paquebot Aranui dans le petit port du village principal, qui demande beaucoup de place pour manœuvrer, sa taille étant deux fois plus grande que celle du quai, nous allons mouiller dans une petite baie au nord-ouest, dite baie aux requins.


Nous passons devant la célèbre piste d’atterrissage en pleine montagne et trop courte pour pouvoir faire atterrir les avions ATR comme dans des autres îles polynésiennes.
La fin de la piste est barrée par la montagne à pic.
C’est un petit avion de 15 places qui assure la rotation.
Il faut bien atterrir du premier coup, car impossible de tourner ou de remettre les gaz une fois engagé, et ce par tous les temps.

Il y a souvent des rafales et des trous d’air, ce qui rend la manœuvre délicate et inoubliable.
C’est ici que Jacques Brel sur son bimoteur « Jojo » effectuait des rotations hebdomadaires, chaque vendredi, depuis Hiva Oa car il n’existait pas à l’époque de ligne régulière.
C’est le refus de la compagnie Air Polynésie d’y faire escale qui avait décidé Jacques Brel à sauter le pas.
Emu par le sort réservé aux gens de l’île, il se mit en devoir de les aider, quitte à se faire des sueurs froides.
A l’époque, la piste était excessivement dangereuse. Il s’agissait d’un terrain improvisé, sans balisage, avec la montagne devant et sur les côtés. De plus, le terrain est en pente et légèrement courbé en bout de piste.
« Je me flanque la trouille » disait-il en décollant et en atterrissant à Ua Pou.
Nous changeons d’endroit le second jour, une fois l’Aranui reparti, pour venir mouiller dans le port d’Hakahau, la capitale. Malgré la petite digue, il y a pas mal de houle et il faut mouiller une seconde ancre à l’arrière pour maintenir Jo&Jo dans l’axe des vagues.
A peine sortis pour mettre le pied à terre, un pick-up s’arrête à notre hauteur et le conducteur nous propose des fruits à venir cueillir chez lui. C’est la pleine saison et il s’en gaspille partout. Nous embarquons dans son véhicule et nous le suivons à son domicile.
Il s’appelle Jacky et il est un des tous premiers guides à avoir traçé des sentiers dans la montagne pour des randonnées destinées aux touristes. Il a passé la main à son fils Julio et a trouvé une place à la commune, un travail moins fatiguant et plus régulier, à la mode polynésienne.
Nous revenons de chez lui avec une véritable corne d’abondance de fruits en tous genres : cocos, pamplemousses, papayes, mangues, citrons…

Nous prenons rendez-vous pour le lendemain matin avec Julio pour une balade sur les chemins de crête qui permettent d'approcher facilement le sommet des monts d'où la vue est saisissante.
L’intérêt d’un guide est de passer aux bons endroits - certains sentiers sont à peine visibles - et de l’écouter conter les légendes de son île, avec des explications pour chaque montagne et chaque vallée, faites de Dieux, de sorcières et de combats de valeureux guerriers.
Le chemin est très raide par endroits - on l’appelle la traversière - et c’est encore 5 heures de marche avec d’importants dénivelés, certains devant être assurés par des cordes tendues entre deux arbres pour pouvoir monter ou descendre sans risques.
Nous cheminons au milieu des banians, des pandanus, des cocotiers, des caféiers, des fougères…
L’île est vraiment très sèche et la majorité de la végétation semble brûlée. Malgré la saison des pluies, il ne pleut pas beaucoup et nous avons été avertis que les îles du nord étaient sous les restrictions d’eau à cause de la sécheresse qui sévit depuis des mois.
Mais dès qu’on l’on monte en altitude et qu’on s’enfonce dans les vallées, c’est le vert qui prédomine.
La récompense de cette longue randonnée est l’arrivée à une cascade nichée en fond de vallée. L’eau y est douce et fraiche et elle est la bienvenue pour nager, nous reposer et y consommer nos sandwiches.
Notre guide Julio escalade la façade de la cascade et se jette à l’eau sans hésiter…
Comme toute île des Marquises, Ua Pou abrite les talents de sculpteurs sur pierre pierre qui embellissent les villages de tikis géants.
On retrouve les thèmes de la pêche sur le port et la plage, de l’autorité et de la loi devant la mairie et de nombreux dessins cabalistiques reproduits dans les tatouages.
Nous déjeunons dans un snack du village. Les plats sont pantagruéliques et nous n’en mangeons que la moitié.
Un vrai polynésien finit son assiette sans effort, ce qui se traduit du premier coup d’œil dans le tour de taille des habitants…
Les enfants en particulier passent leur temps à manger et à boire d’infâmes sodas hyper sucrés.

Le village d’Hakahau - en fait la "capitale" de l’île - a beaucoup de charme avec sa plage de sable, son port, ses espaces de détente, ses quelques commerces et surtout son magnifique panorama dominé par les pics de basalte sortis du fond de l’océan.

Là encore, des fruits et des fleurs à profusion, comme ce remarquable « flamboyant » d’un rouge du même nom…
C’est ici au cœur du village dans les espaces publics qu’on eu lieu en décembre 2019, le neuvième festival des îles Marquises (en marquisien : Matavaa o te Fenua Enata).
Ces jeux, chants et danses marquent la renaissance de la culture marquisienne depuis vingt ans et sont un événement qui attire des spectateurs de partout. Ils ont lieu tous les deux ans.

La salle de mairie expose des fresques des acteurs locaux des festivals passés.
La prochaine manifestation devrait avoir lieu en décembre 2021 à Fatu Hiva, si les conditions sanitaires le permettent.
En ces temps de pandémie, les manifestations ne sont hélas plus d’actualité. Si la vie est quasiment normale ici, sans confinement ni couvre-feu, avec bars, restaurants, stades et salles de sport ouverts, les spectacles n’ont plus lieu.
Les vols étant limités aux motifs impérieux et la quatorzaine stricte imposée à l’arrivée sur le territoire réduisent à zéro l’afflux des touristes. Aussi, plus d’accueil dansant à l’arrivée des bateaux ni de danses dans les hôtels, qui pour la plupart fonctionnent à effectifs réduits quand ils ne sont pas fermés. L’Aranui lui-même fait des rotations de fret pour ravitailler les îles mais ne transporte plus de passagers à compter de mi-février, en attendant des jours meilleurs.
Nous n’aurons pas la chance de voir ces danses marquisiennes, très physiques et viriles (la danse marquisienne met plus en valeur la force de l’homme que la grâce de la femme) et chacun se désole ici de ne pouvoir participer ou assister à ces fameux rassemblements festifs ancrés dans la culture du fenua.
Pour donner un aperçu de ce que nous manquons, voici un extrait de film amateur tourné lors du festival des arts marquisiens à Ua Pou il y a une dizaine d’années.
Nous nous rabattons sur la visite de l’île et des curiosités qu’il ne faut pas manquer en abordant cet endroit.
L'église, par exemple, construite en galets et en bois, est le bâtiment le plus remarquable au centre du village.
La chaire en forme d'étrave de bateau est posée sur des vagues où sont sculptés tous les animaux connus aux Marquises… et le tout dans un seul tronc d'arbre et sa souche !
De magnifiques fresques naïves très colorées ornent l’extérieur et l’intérieur de l’édifice.


Nous louons un 4x4 - il n’y a que ça ici et on comprend vite pourquoi - pour découvrir l’île de l’intérieur, en arpentant des routes et des pistes vertigineuses avec des virages en lacets très acrobatiques.
Il faut parfois manœuvrer pour négocier les virages.
Nous louons le pick-up Mitsubishi de la femme de Jacky sans autre formalité qu’un prix négocié aux 2/3 du prix pratiqué par la seule agence de location locale.
Depuis le village principal, au kilomètre 0, nous nous dirigeons vers le dernier village au sud-ouest - Hakatao - distant de 22 kilomètres mais que nous mettrons une heure à atteindre.
Nous revenons par Hohoi, célèbre pour sa plage réputée de "pierres fleuries", galets dont les inclusions naturelles forment des motifs en forme de fleurs quand ils sont mouillés ou polis. Ces particularités ne se trouvent qu’à Ua Pou et sur une plage du Brésil.
Avant le retour au village principal pour déjeuner, nous faisons une halte au petit village de Hakamoui - en fait il n’y a rien que quelques maisons et une improbable pension de famille de 4 bungalows au fond de la baie - où la houle vient se briser sur des récifs bordant une plage de sable noir.
Après un rapide repas dans une roulotte - il n’y a aucun restaurant digne de ce nom dans l’île - nous reprenons la route vers le nord et la façade ouest de l’île, avec des dénivelés tout aussi impressionnants. La boite de vitesses en version courte et les 4 roues motrices sont de mise.
Nous n’aurons que de rares fois l’occasion de passer en 3ème vitesse, les routes plates et les routes droites n’étant pas du domaine du possible sur cette île volcanique arrachée aux tréfonds de l’océan.
Depuis un promontoire qui domine la baie, nous voyons Jo&Jo sagement ancré, attendant notre retour.


Arrivés à Hakahetau, nous suivons un long sentier défoncé au milieu de la jungle pour aller visiter une curiosité incontournable par ces latitudes, « la maison de Monfred ».
C’est un allemand haut en couleurs très connu localement pour la fabrication de son propre chocolat qu’on peut acheter sur place. Il se surnomme lui-même « Schoko-mann ».
Manfred Drechsler est un allemenad de l’est venu en Polynésie en 1987, deux ans avant la chute du mur de Berlin.
C’est un aventurier comme en trouve encore par ici, quittant tout pour aller au bout du monde, sans parler la langue et finissant par se marier à une marquisienne.
Il pilotait les hélicoptères civils pour installer les pylônes électriques dans les îles, en particulier aux Marquises.
Puis il a changé radicalement de vie il y a 15 ans. Il est venu défricher un fond de vallée de Ua Pou qui porte maintenant son nom pour y faire pousser des cacaoyers et y fabriquer son propre chocolat.
Il aime accueillir les touristes et raconter sa vie en détail, entrecoupée de blagues toutes aussi salaces les unes que les autres. Oreilles chastes s’abstenir…
Nous sacrifions à la tradition d’inscrire sous la toile de son auvent le nom de notre bateau.
Il est particulièrement fier de nous montrer la dédicace de l’archiduchesse Francesca de Habsbourg, épouse de l'archiduc Charles de Habsbourg-Lorraine et de ses 3 enfants. Elle préside la fondation ARCH (Art Restoration for Cultural Heritage) œuvrant dans la sauvegarde du patrimoine artistique de l'Europe de l'Est.
Elle est venue plusieurs fois chez Manfred avec son yacht Dardanella et il garde précieusement un magnifique couteau suisse qu’elle lui a offert.
On peut valablement le soupçonner d’entretenir la nostalgie de l’empire austro-hongrois avec sa taille de barbe à la François-Joseph, l’époux de l’impératrice Sissi.
D’ailleurs, il ne cache pas ses affinités et il n’est pas du genre à mettre la tête dans le sable, s’écartant ainsi délibérément de la politique de l’Autriche…
Manfred a tout d’un professeur nimbus, un spécimen unique qui vit dans son monde fait de passé et de présent, qui refuse tout progrès et aime avant tout le contact humain. Un personnage assurément attachant…
Il nous fait goûter ses productions, à base de chocolat noir dans lequel il peut adjoindre coco, poivre, gingembre, fruits de la passion, moka, pistache, orange, noix de pécan ou de cajou…
La texture est légèrement granitée, onctueuse, peu sucrée et riche en gras indispensable issu de la pâte de cacao. Car c’est bien connu : « pas de gras, pas de chocolat ».
Ce chocolat étant 100% naturel, sans aucun conservateur, il n’est pas destiné à voyager beaucoup et fera les beaux soirs de nos visionnages de films sur Jo&Jo.
Là encore, la dégustation de ses « bouchées » fait partie d’un rituel qu’il réserve aux femmes. Sylvie goûtera la ganache aux fruits de la passion (réservée aux femmes mariées dont elle doit partager la moitié de la bouchée avec son mari sous peine de devoir rester avec Manfred).
Jessica goûtera celle aux truffes coco dont la saveur se révèle en fin de bouche…
Nous repartirons avec 10 tablettes, non sans avoir visité ses arbustes donnant les cabosses remplies des précieuses fèves de cacao ainsi que les caféiers qui jouxtent sa cabane.
Le centre artisanal est riche de nombreuses réalisations rivalisant d’imagination et de talent, que ce soient des œuvres sur bois, sur pierre fleurie ou non, sur os, sur tapa. Les pierres fleuries brutes montrent bien les inclusions qui se révèlent particulièrement une fois polies.


Notre dernier jour à Ua Pou nous fera grimper sur la montagne de l’autre côté du village parmi la végétation desséchée d’où nous pourrons voir une autre vue de la baie et dans le fond, l’île de Nuku Hiva qui sera notre prochaine étape.
Nous irons ensuite nous baigner et pique-niquer sur la magnifique plage de sable brûlant d’Anahoa où nous serons une nouvelle fois les seuls au monde.
Le temps de faire le plein d’eau par des aller-retours en annexe jusqu’au quai et nous sommes parés pour les 4 heures de traversée jusqu’à la plus importante île des Marquises…


Des amis de Jessica qui suivent son périple depuis Tahiti la renseignent sur une image en panorama parue sur la page Facebook de la chaîne de télévision locale Polynésie 1ère.
Suivre le lien : https://www.facebook.com/248187279530/posts/10158397139639531/?d=n et cliquer sur l’image du site pour visionner le panorama.
On y voit notre Jo&Jo en vedette au premier plan dans la baie de Hakahau.








































































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