38 – Fatu Hiva
- Jo et Jo

- 7 févr. 2021
- 9 min de lecture

Avec le tatouage de Sylvie se termine notre séjour à Hiva Oa.
Une dernière balade sur la plage de sable noir pour voir les compositions du frère du tatoueur, artiste lui aussi, à l’initiative de bancs et de décorations sur le front de mer.
Jessica, en écologiste convaincue, apprécie particulièrement ces œuvres originales en matériaux naturels voire recyclés, en plus chargés d’humour et de messages.
Nous regagnons Jo&Jo pour le préparer à la traversée du lendemain. Le génois nous avait causé quelque souci à cause du « curseur émerillon » qui se bloquait sur l’étai en tête de mât. Résultat, plus possible de dérouler ou enrouler la voile. Une fois le diagnostic posé, il a fallu décoincer la pièce.
Jessica, en équipière désormais aguerrie par un mois de navigation, s’est proposée pour grimper avec la chaise de mât, nous prenant au passage en photo depuis sa position de vigie.
A 3 heures trente du matin, nous sommes réveillés par un bruit puissant aux abords du bateau. C’est l’Aranui qui passe et vient accoster au port, de l’autre côté de la digue.
Le concept de ce bateau est original. L’avant est un cargo classique jusqu’à la passerelle, avec des containers et deux grues, ainsi que des barges pour transborder les marchandises lorsqu’il n’est pas possible de s’amarrer à quai. L’arrière est un paquebot avec des cabines et des ponts-promenades.
Ce bateau est un véritable lien entre les îles et il est devenu, au fil des ans et des versions du bateau (actuellement Aranui 5, le 6ème de la série étant prévu début 2022), indispensable à la vie des marquisiens.
Sa venue était programmée et la moitié de la baie s’était vidée la veille pour pouvoir laisser entrer et manœuvrer le monstre.
Il ne restera qu’une journée pour débarquer les marchandises et permettre à la trentaine de touristes de visiter au pas de course les quelques curiosités du village.
La navigation vers Fatu Hiva se fera à la voile, au près, avec un beau soleil sur les 43 miles avalés en 8 heures.
L’arrivée sur l’île se fera à nouveau avec un cortège d’accueil des dauphins.
Cela pourrait devenir banal à la longue, mais nous ne nous en lassons pas et nous en demandons encore, tant ces animaux joueurs et familiers nous enchantent de leurs pirouettes et de leur sociabilité à venir au contact des bateaux.

Fatu-Hiva est l’île la plus méridionale de l’archipel des Marquises et l'une des moins peuplées. Elle n’a pas d’aéroport.
Longue de 10 km et large de 4, elle a la forme d'un large croissant ouvert vers l'ouest.
Le premier explorateur occidental à découvrir Fatu Iva fut le navigateur espagnol Alvaro de Mendaña, le 21 juillet 1595. C'est la première île de l'archipel qu'il vit, mais il ne put y débarquer, ne trouvant pas de mouillage sûr (il posera le pied à Tahuata, notre prochaine escale). Il lui donna quand même le nom éphémère de "La Magdalena".
En effet, ses falaises escarpées la rendent peu facile d'accès et seules deux baies profondes, situées sur la côte ouest - abritant les deux seuls villages de plus de 600 âmes chacun - souvent balayées par des rafales de vent parfois violentes, constituent des mouillages abrités des houles dominantes.
Fatu Iva possède le climat le plus humide de tout l'archipel. Étant la plus au sud, la plus proche du tropique du Capricorne, et grâce à ses crêtes élevées et abruptes, les pluies se déversent en abondance, donnant naissance à une végétation riche, avec des mangues, des bananes, des pamplemousses, des citrons, des oranges, des papayes, des arbres à pain... Les mangues sont à la libre disposition de tous et sont aussi courantes que les châtaignes en métropole à l'automne. La forêt tropicale humide occupe la majeure partie de l'île.
Nous arrivons en fin d’après-midi par un soleil rasant dans la fantastique Baie des Vierges qui se ferme sur le village d’Hanavave et qui est sans conteste un des plus beaux paysages des Marquises.

Cette baie est peu profonde mais très encaissée entre deux murailles de lave brune de plus de 1000 mètres de hauteur. Sur les flancs de ces murailles pousse une végétation herbeuse, des cocotiers et des arbustes et surtout des cheminées de laves, genre cheminées de Fées.

Ces formes phalliques ont valu à l’origine à la baie d’Hanavave le nom de Baie des Verges.
Au XVIIIème siècle, les missionnaires ne pouvaient accepter un tel nom aussi sacrilège qui ne pouvait que rappeler un diable priapique et l’ont vite rebaptisée Baie des Cierges.
Finalement, la cartographie officielle et anticléricale de la IIIème république mit tout le monde d’accord en donnant le nom actuel de Baie des Vierges ! Il n’en reste pas moins que les deux premiers noms étaient plus imagés et plus fidèles à la configuration du lieu.
Ici, loin des centres d’approvisionnement, il faut compter avec le dénuement matériel, qui n’est pas de la pauvreté, mais la difficulté pratique de se procurer les objets. Seuls le cargo-paquebot Aranui et le cargo Taporo viennent y mouiller toutes les 3 semaines, apportant les denrées et repartant avec des tonnes de fruits et de l’artisanat local prisé dans toute la Polynésie.
A croire qu’il nous suit car il arrive le lendemain mouiller dans la baie, juste derrière Jo&Jo et un autre catamaran d’un couple canadien.

Au village de Hanavave, il n’y a rien, même pas une mairie, juste une annexe pour l’édile de l’île vivant dans l’autre village d’Omoa, une annexe de la poste ouverte le matin et une école primaire.
Le seul petit magasin ne dispose de presque rien. Crise du Covid oblige - il n’y a eu que 4 cas guéris au printemps 2020 dans toute l’île - on y entre deux par deux et on doit quitter ses chaussures. La patronne n’a pas de caisse, elle note tout au crayon sur un carnet !
Il n’y a que deux villages à Fatu Hiva, distants par la route - plutôt une piste pour l’essentiel - de 17 kilomètres au très fort dénivelé : Hanavave et Omoa, cette dernière étant la « capitale » de l’île avec 620 habitants.
Ce lieu paradisiaque et d’abondance a pourtant été le théâtre d’événements dramatiques au milieu du XIXème siècle, venant démentir la théorie du « bon sauvage » chère à Jean-Jacques Rousseau.
Les tribus Anainoa de Hanavave et Tiu de Omoa s’affrontèrent à mort pour la suprématie de l’île.
Un millier de Tiu, vaincus, s’enfuirent sur des radeaux de bambous et des pirogues. Certains ont péri en mer, d’autres échouèrent à Hiva Oa ou aux Tuamotus. Seul le sorcier des Tiu, aveugle et vieux, resta en sacrifice sur l’île et se fit enterrer vivant la tête en bas pour marquer la fin de sa tribu et interdire par là-même un retour des siens pour le venger.
Il est plus simple d’aller à Omoa par la mer en longeant la côte et revenir par la piste, au bout de plus de 4 heures de marche. Nous partons avec la barque de pêche de Christian, chez qui nous dinerons le soir, à notre retour.

Le village d’Omoa nous accueille avec ses tikis géants contemporains. Le village est paisible, les gens y sont très accueillants et la vie semble s’écouler tranquillement sous le soleil et les fruits à profusion.

Nous visitons le « musée Grelet », en fait une maison typique marquisienne de type colonial remplie d’objets du quotidien, dont beaucoup de coupes, de casse-têtes en bois sculpté, permettant d’appréhender les conditions de vie d’une famille traditionnelle plutôt aisée.
Le propriétaire, William Grelet, cultivateur et commerçant était président du district de l’île de Fatu Hiva et a reçu la médaille de chevalier de la Légion d’Honneur en 1957.

La décoration intérieure est sommaire, les habitants - comme dans tous les pays chauds - vivant surtout à l’extérieur.
Les autres maisons sont plus simples, souvent construites à partir de panneaux de bambous tressés et un toit en tôle ondulée.
L’avènement des panneaux solaires a grandement amélioré le confort des habitants, ainsi que les antennes satellites.
Mais il faut savoir vivre avec peu…
Une sculpture remarquable en bord de mer du village d’Omoa s’appelle « les twin tikis », sortes de divinités siamoises se tenant le ventre et se touchant par les fesses et par les cheveux.

Il n’en fallait pas plus pour que les facétieux et irrévérencieux marins du Jo&Jo prennent la pose aux abords du monument.
Puis vient le morceau de bravoure : retourner à pied à la baie de Hanavave par les crêtes, avec plus de 4 heures de marche en plein soleil, bien plus sportif que le trajet aller en canot par la mer.
Nous buvons beaucoup et les gourdes n’y suffisent pas. Heureusement, des pamplemoussiers nous offrent de désaltérantes boissons le long de la route.
Quelques oiseaux nous accompagnent et nous avons la chance de voir un très joli Ptilope des Marquises (ou Ptilinopus dupetithouarsii, à l’évidente filiation avec l’amiral Dupetit-Thoars), ou « Kuku », oiseau endémique de l’archipel en voie de disparition. Une espèce voisine, le Ptilope de Mercier (Ptilinopus mercierii) a quant à lui déjà disparu des îles de Hiva Oa et Nuku Hiva.
Nous franchissons des cols à presque toucher les nuages mais la descente vers la baie où nous attend Jo&Jo est encore plus rude et met à l’épreuve nos cuisses et nos mollets.

Le soir, nous dinons chez Christian - qui nous avait amené en bateau jusqu’à Omoa le matin - et son épouse Emilienne pour un ma'a (repas) traditionnel : poisson cru au lait de coco, poulet grillé, chèvre, porc, accompagné de riz et de frites de uru.
Nous apportons notre boisson et nous faisons connaissance de leur intérieur très modeste, de leur famille en photos, de leur vie. Christian a 61 ans et a travaillé deux ans pour les essais nucléaires à Mururoa, mais il reste très discret sur ce sujet.

Il est aussi sculpteur sur bois et sur pierre et il nous propose des tikis de sa fabrication. Ayant déjà acheté le nôtre à Hiva Oa, nous lui proposerons de sculpter notre planche de râpe à coco aux armoiries de Jo&Jo, ce qu’il fera avec beaucoup de talent.
Nous repartirons de chez eux avec d’énormes pamplemousses, des citrons et un imposant régime de bananes.
L’île est surtout spécialisée dans la confection des tapas, technique ancestrale pour confectionner des tissus avec les branches de certains arbres de teintes différentes (uru, murier…).
Ces tissus servaient à l’origine à faire des vêtements. Aujourd’hui ils servent de toiles où sont peints des motifs marquisiens que l’on retrouve dans les tatouages.

L’opération consiste à recueillir de jeunes rameaux de l’arbre. L’écorce superficielle est retirée et il reste une mince couche de substance fibreuse, que l’on détache soigneusement de la baguette.
Lorsqu’on en a recueilli une quantité suffisante, les diverses bandes sont déposées en paquet dans le lit d’un cours d’eau rapide, avec une grosse pierre par-dessus.
Après être resté deux ou trois jours, on retire le paquet et on l’expose à l’action de l’air.
La substance montre alors des signes de décomposition, les fibres sont relâchées et ramollies et sont devenues entièrement malléables.
Les bandes sont alors étalées, une à une par couches superposées, sur une surface lisse - en général une pierre plate - et le tas ainsi formé est soumis à un battage modéré, au moyen d’une espèce de maillet. Il provient d’un bois dur et pesant, analogue à l’ébène (bois de fer).
Sa forme est l’exacte réplique de l’un de nos cuirs à rasoir quadrangulaires. Les surfaces planes de l’instrument sont rayées de stries parallèles et peu profondes.
Ces matrices donnent au tapa la vague apparence de velours côtelé qu’il offre dans son état définitif. Après avoir été battue, la matière se trouve bientôt amalgamée en une masse qui, humectée de temps à autre avec de l’eau, est à nouveau martelée.
L’étoffe est amenée à varier en forme et en épaisseur, de façon à s’adapter à l’usage voulu. Enfin, le tapa est trempé dans de l’amidon qui lui donne une consistance et une couleur avant que des dessins ne viennent parachever l’œuvre de l’artiste.
Un des points à visiter en fond de vallée est une grande cascade jaillissant de la végétation, à une heure de marche du village, sur un sentier à peine tracé et parfois acrobatique. La sécheresse qui sévit depuis quelque temps ne produit pas de grandes eaux mais la balade vaut le déplacement.
Le temps s’écoule lentement, paisiblement, dans cette baie de rêve. Nous sympathisons avec Florine, Tristan et Vincent, des jeunes d’un voilier voisin qui viennent passer la soirée de samedi sur Jo&Jo pour un apéritif dinatoire, sans souci de masques et de couvre-feu. Nous sommes si loin de tout cela…

Le lendemain, nous assistons à la messe à la petite église du village. C’est toujours un enchantement que d’écouter ces chants polyphoniques chantés avec ferveur, guitares, yukulélés et bongos à l’appui, dans un lieu des plus simples qui n’a même pas d’huisserie aux ouvertures de fenêtres.
Nous y allons en respectant le port d’une tenue appropriée, jambes couvertes pour les dames. Les gens s’habillent « comme un dimanche » pour l’office. Nous avons devant notre banc une petite fille qui est fière de porter une jolie robe, un collier et qui a emprunté un peu de rouge à lèvres de sa maman…

Après une semaine à Fatu Hiva, nous décidons de prendre la route du nord et de rejoindre l’île de Tahuata.
Tristan et Florine, du voilier voisin, veulent passer quelques jours au nord de l’île, au village abandonné de Ouia, lieu où le danois Thor Heyerdhal et sa femme Liv avaient passé deux ans de vie sauvage en 1935 et qu’était née l’idée d’une migration amérindienne de la Polynésie qui justifiera l’expédition du Kon Tiki.
Vincent, leur équipier, viendra sur Jo&Jo jusqu’à Tahuata avant de prendre une navette vers Hiva Oa.
Il restera 3 jours et 2 nuits à bord.

La navigation se fait enfin au portant, le vent et les vagues prenant le catamaran par le secteur arrière, offrant un confort qu’on n’avait pas connu depuis un mois.
Le capitaine, pas rasé, fraîchement tatoué et coiffé d’un bandana pour dompter les cheveux sauvages, a de plus en plus l’air d’un biker sur la route 66.
Nous sommes partis avec le plein de fruits, bananes, mangues, urus, papayes. Le bateau file bien, grand-voile et génois déployés. Comme d’habitude, nous sommes escortés par des oiseaux et par une bande de dauphins.
Là encore, aucun bateau à l’horizon… La houle est faible, nous arrivons dans la baie de Vaitahu voile déjà rangée dans son lazzy-bag.

















































































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