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18 - Les étoiles, la tête en bas

  • Photo du rédacteur: Jo et Jo
    Jo et Jo
  • 28 avr. 2020
  • 11 min de lecture

Dernière mise à jour : 29 avr. 2020


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C’est un fait, nous sommes aux antipodes de la France, c’est-à-dire pratiquement à l’autre extrémité de la Terre, par 17° au sud de l’équateur et 150° à l’ouest du méridien de Greenwich, près de Londres, qui dicte le temps universel sur la planète.


Paris se trouve à 48° au nord de l’équateur et à 2° à l’est de ce même méridien de Greenwich (qui passe notamment par Tarbes). Pour autant, nous n’avons pas perdu la boussole et encore moins le nord…

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L’exact opposé géographique de la France se trouve à l’est de la Nouvelle Zélande, dans un petit archipel de 1,3 km2 inhabité composé de 13 îles, appelé « Iles Bounty ».


Ce nom ne doit rien au hasard, car le capitaine William Bligh qui les a découvertes en 1788 leur donna celui de son navire, quelques mois avant la célèbre mutinerie.


Il y a dans la vie et en particulier dans l’écriture de ce blog quelques surprenants alignements de planètes, pour retrouver la trace du Bounty dans ce sujet de géographie et d’astronomie, alors que notre article 15 sur le « bon sauvage » lui faisait la part belle.


D’ailleurs, les planètes et leur alignement seront le thème principal de cet article.


Nous sommes quand même à 2.300 miles au nord-est de cet exact opposé de la France, soit plus de 4.000 km de l'antipode, mais ce n’est rien à cette échelle. Car Tahiti est à 15.700 km de la France par le chemin le plus court et un aller-retour vers la métropole revient pratiquement à faire le tour de la planète en avion, au prix de 40 heures passés en l’air, si l’on retranche l’escale aux USA. Cette moitié de planète qui nous sépare de la métropole explique à l’évidence le décalage horaire de 12 heures.


La Terre n’est pas ronde, ni même ovale et son diamètre oscille entre 36.000 et 40.000 km. Il est facile de calculer que sa rotation en 24 heures lui confère une vitesse de près de 1.700 km/heure, génératrice de vents et de courants marins. Il suffit de voir la vitesse d’un lever ou d’un coucher du soleil à l’horizon pour comprendre immédiatement ce phénomène de rotation de la Terre.

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Alors, forcément, beaucoup de choses sont inversées entre le nord et le sud. Le phénomène le plus connu est la force de Coriolis qui, sous l’effet de la rotation de la terre, fait dévier tous les mouvements de fluides (air, eau) vers la droite dans l’hémisphère nord et la gauche dans l’hémisphère sud. Ici, l’eau qui s’écoule forme un siphon qui tourne dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Vérifiez en métropole, c’est l’inverse !


Ainsi, les anticyclones et les dépressions sont également inversés et les vents dominants de Polynésie viennent de l’est. Compte tenu de leur latitude au niveau de la tropique du Capricorne et de leur régularité, on les appelle les alizés.


Il existe la symétrique dans l’hémisphère nord vers la tropique du Cancer soufflant de l’ouest entre les Etats-Unis et la France, l’anticyclone des Açores s’enroulant sur l’atlantique nord forme au sud un flux d’est entre le Cap Vert et les Antilles. Le chemin est bien connu des marins de la route du rhum ou de la transat Jacque Vabre, ou de ceux qui traversent l’Atlantique jusqu’au canal de Panama pour atteindre l’océan Pacifique.


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D’autre part, notre proximité de l’équateur influe directement sur la température et le climat. L’amplitude de l’alternance jour/nuit y est moindre qu’en métropole. En juin, le jour dure 11 heures, se lève à 6h30 et se couche à 17h30. En janvier, il dure 13h15, se lève à 5h30 et se couche à 18h45.


Sur le graphique ci-dessous, on voit en bas l’heure du lever du soleil, en haut celle du coucher et au milieu en bleu la durée du jour selon les mois.

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Il n’y a que deux saisons en Polynésie, forcément inversées par rapport à l’Europe, même si les températures varient très peu au cours de l'année.


L’été austral ou saison des pluies va de novembre à avril. La température y est plus élevée de 3 à 4 degrés par rapport aux 28 degrés standard de l’année. De fortes pluies tropicales s’abattent parfois. Le taux d’humidité y est très important, avec plus de 80 %. C’est la saison des cyclones mais ils sont rares, en moyenne un tous les dix ans. Certains archipels comme les Marquises en sont totalement épargnés. C’est surtout la saison de l’abondance en fruits et en fleurs, même s’il y en a toute l’année.

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Ces deux saisons plus ou moins chaudes et humides sont à l’origine de cette nature généreuse qu’on voit partout ici.


Elle s’exprime notamment dans l’étonnant vin de corail de Tahiti, issu d’un vignoble de cépage Carignan (rouge vinifié en blanc) planté sur un atoll de Rangiroa.


Le cycle végétatif ne s’opère pas complètement et sitôt la vendange effectuée, les ceps qui ont gardé toutes leurs feuilles sont taillés pour produire une nouvelle vendange.


Deux récoltes annuelles – les vendanges d’hiver et d’été austral - caractérisent cette culture très originale et atypique pratiquée sous les tropiques.


L’hiver austral ou saison sèche couvre la période de mai à octobre. Elle est plus régulière, plus agréable et moins humide. C’est aussi la meilleure saison pour naviguer, hormis un vent de sud / sud-est qui ramène de l’air du pôle sud et qui souffle parfois à plus de 60 km/h appelé « maraamu ».


La terre tournant sur elle-même et autour du soleil nous permet d’avoir cette alternance jour/nuit sur toute la planète (sauf aux pôles pour les solstices générant le soleil de minuit en été et la nuit totale en hiver). La lune tournant autour de la terre nous montre en tous lieux, du nord au sud, sa même face.


Mais il n’en va pas de même pour les étoiles ! Au fil de sa rotation sur son axe incliné, la terre ne montre à l’hémisphère nord que la partie supérieure du ciel et à l’hémisphère sud l’autre partie de l’univers.

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Bien sûr, nous n’avons pas la tête en bas et il nous faut lever les yeux pour voir ce qui défile en bas du pôle sud.

On évitera d’évoquer les lois d’Isaac Newton sur l’attraction universelle, les histoires de pomme se terminant souvent mal pour l’humanité, dès lors qu’un serpent s’en mêle.

Et puis, si l’homme a longtemps cru que la Terre était au centre de l’univers, le français cocardier ne considère-t-il pas que la planète se définit par rapport à la situation de son nombril ?

Chaque voit midi à sa porte, même avec douze heures d’écart…

Malgré tout, en arrivant ici, on cherche en vain l’étoile polaire ou la Grande Ourse, qui nous sont si familiers. Mais il faut se faire une raison, c’est de l’autre côté et il faut réapprendre les nouvelles constellations…


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Les étoiles sont plus nombreuses ici que dans l’hémisphère nord et là encore, la relative proximité de l’équateur donne cette impression que le ciel est plus bas, les étoiles plus proches et plus grosses, comme on le ressent quand on observe le ciel depuis l’Afrique.

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Sur les 88 constellations visibles depuis la Terre, 28 occupent le ciel boréal (nord), 47 le ciel austral (sud) et 13 sont appelées constellations écliptiques, enroulées autour de l’équateur sur l’axe de rotation de la terre.


On y trouve les 12 signes du zodiaque découpant le ciel en 12 parts égales.


Chaque soir, après de somptueux couchers de soleil et si la couverture nuageuse le permet, c’est un festival de scintillement difficile à décrire.


Ce spectacle laisse toute sa place à la contemplation et à la rêverie, bercée par le grondement continu des rouleaux de mer venant se fracasser sur la barrière de corail au loin. Un son et lumières de toute beauté.


Voici par exemple le grand nuage de Magellan (au gauche) de 10 milliards d’étoiles à 165.000 années lumières et le petit nuage de Magellan (à droite) de « seulement » un milliard d’étoiles.

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Les étoiles filantes sont nombreuses et il n’est pas rare de voir des satellites en orbite basse à 200 km d'altitude et dont les panneaux sont éclairés par le soleil juste après la tombée de la nuit, traverser le ciel - parfois en cortège - sur leurs axes immuables. Leur vitesse surprend (bien plus rapide que celle d’un avion) mais cette vitesse n’est autre que celle de la rotation de la Terre.


Les étoiles, elles, sont si loin que cette rotation est imperceptible.


Par ailleurs, les clignotements d’avions se sont faits rares avec la pandémie qui les cloue au sol et en voir passer un dans le ciel relève quasiment de l’observation d’un Ovni… On se prendrait presque à faire un vœu…


La lune est bien présente, mais ses croissants sont inversés (éclairés par le haut par le soleil) et les phases se produisent à l’envers. Le premier quartier, qui ressemble à l’arrondi d’un « p » minuscule en France ressemble ici à celui d’un « d » minuscule.

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On s’est rapidement familiarisés avec La Croix du Sud, la plus facile à observer avec son axe le plus grand qui pointe sur le pôle sud.

On découvre progressivement les constellations dont les noms sont connus mais jusque-là cachées de nos yeux d’européens.


La latitude médiane entre le pôle et l’équateur prend le nom de la constellation qui se trouve au-dessus d’elle, à savoir la Tropique du Capricorne pour l’hémisphère sud et celle du Cancer pour le nord.


Cette appellation de la latitude à l’aplomb de ces étoiles rejoint le savoir des polynésiens, qui furent d’excellents navigateurs, sans compas, boussole, octant ou sextant, avant que l’homme blanc ne vienne imposer sa propre vision du ciel.


Car les Tahitiens ont toujours su - très exactement - où ils se trouvaient, que ce soit sur une île ou sur une pirogue. Ils avaient dans le ciel les planètes, le soleil, la lune et les étoiles qui formaient un système de coordonnées géographiques, des « chemins d’étoiles » et des « piliers célestes » tracés par les dieux. Ils les utilisaient comme des instruments de localisation dans l’espace. Leur maîtrise de l’art de la navigation durant plus d’un millénaire impliquait une connaissance quasi-parfaite des mouvements des étoiles et des planètes. Ils naviguaient sur de grandes pirogues doubles, emportant avec eux humains, animaux et végétaux pour coloniser et commercer. Ils sont les inventeurs des premiers catamarans…

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Le capitaine Cook, dès 1768, nota dans son journal de bord : « Par nuit claire, ils s’orientent avec les étoiles. C'est la navigation la plus facile pour eux car vu leur nombre, non seulement ils savent grâce à elles la direction de plusieurs îles avec lesquelles ils maintiennent des contacts, mais aussi leurs ports, de sorte qu’ils se dirigent droit vers leur entrée en suivant une étoile particulière qui se lève ou se couche au-dessus d’elle. Ils y parviennent avec autant de précision que pourrait le faire la plupart des experts en navigation des nations civilisées.

Dans leurs plus longs voyages, ils se dirigent sur le soleil pendant le jour et, pendant la nuit, sur les étoiles, qu’ils distinguent par des noms ; ils connaissent dans quelle partie du ciel elles paraissent dans les mois où elles sont visibles sur l’horizon ; ils savent aussi, avec plus de précision peut-être qu’un astronome d’Europe, le temps de l’année où elles commencent à paraître et à disparaître. »

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Le capitaine Cook revint en Angleterre de son premier voyage en emmenant avec lui un tahitien érudit et grand prêtre, Tupaïa.

La carte que fit Tupaïa pendant le voyage de retour fut remarquable, avec pas moins de quatre-vingt-quatre îles identifiées.

Elles s’étendent depuis les îles Marquises jusqu’aux îles Fidji.

Tupaïa pouvait situer chaque île en pointant du doigt l’endroit du ciel (son étoile zénithale) où il se trouvait et dire si elle était plus grande ou plus petite que Tahiti.

A la veille de sa mort, bien loin de la Polynésie, il indiquait encore l’endroit du ciel où se trouvait Tahiti en montrant Sirius, l’étoile zénithale de l’île de Tahiti.

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Dans le sillage de Cook, le nombre de visiteurs du nouveau monde ne cessa de croître et avec eux, une autre vision du ciel se mit en place.

L’étoile Sirius si primordiale pour les Tahitiens disparaîtra tout simplement du vocabulaire et donc du ciel.


Les noms des étoiles, des constellations et des planètes, porteurs d’une longue tradition, s’évanouiront, et avec ces noms, tous les concepts qu’elles renferment.

La transmission se faisait oralement et s’est perdue assez rapidement à l’arrivée des premiers colons européens. Cette perte irrémédiable de la mémoire ancestrale, associée à la nonchalance et la docilité des individus fera vite passer aux yeux du monde moderne ce peuple pour des sauvages sans culture.

Pourtant, en 1830, un autre navigateur anglais nuancera cette vision et écrira :

« Je suis convaincu d’abord, que les peuples de la Polynésie étaient, à l’époque de leur découverte par les Européens, dans un état de décadence absolue. Je crois en second lieu, qu’antérieurement à cette même découverte, ils ont dû, pendant plus ou moins longtemps, et, probablement depuis une époque déjà fort ancienne, connaître un état de civilisation et de splendeur politique relativement très avancé. »

« Il me paraît donc certain qu’il y a eu une époque pendant laquelle les Polynésiens cultivaient jusqu’à un certain point les arts, les sciences, et se livraient à la navigation. »

Les navigateurs tahitiens possédaient leur propre démarche scientifique avec d’autres références que les nôtres.

Toutes les données physiques, animales et végétales étaient prises en compte dans leur mémoire, n’ayant aucun instrument de mesure ni l’écriture. Ils ne connaissaient pas l’écriture, mais ils savaient lire la nature.

Les phénomènes naturels ont donc été de tous temps les seuls repères de peuples anciens et ont permis, au-delà des croyances en des Dieux célestes, de bâtir des calendriers sur les cycles des principaux astres, déterminant les saisons et les interactions de l’homme avec la nature.

L’homme moderne, qui ne jure que par l’habitat urbain (clin d’œil à notre ami Jean-Karl) a progressivement perdu ce sens de la nature.

Qui se soucie encore des phases de lune pour ses activités, des enseignements de la Sainte Catherine pour les plantations ou les injonctions des saints de glace, par exemple ?


La nature se doit d’être formattée, domestiquée, asservie à la volonté de l’homme 2.0. Mais elle se rebiffe de plus en plus souvent et violemment et ce n’est sans doute que le début.

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Les Tahitiens anciens avaient décidé d’allier les rythmes de la nature avec les mouvements des astres et de leur confier leur sort, aussi bien sur terre que sur mer. Ils avaient des noms distincts pour chaque jour et chaque nuit du mois lunaire et ne comptaient pas le temps par jours, mais par nuits.

Le calendrier tahitien ancien s’est établi sur la base de 12 ou 13 mois lunaires, réglant le problème de l’année de 365 jours et un quart et donc des années bissextiles. De plus, à cause des deux principales saisons, il y avait deux cycles par an donc 2 « nouvelles années » par an, ce qui posait un problème aux européens pour se situer avec eux.

Le calendrier ci-dessus nomme et détaille chaque nuit et montre bien les situations favorables ou non de pêche pour chacune d’elles. On apprend notamment que les poissons ont peu de chances avec les « poissonnes » les nuits de pleine lune…

La période de visibilité de la constellation des Pléiades, allant à quelques jours près (à la fin du 18ème siècle) du 20 novembre au 20 mai, correspond à la saison humide et chaude, alors que l’autre moitié de l’année, sans pouvoir être qualifiée de « saison sèche », est nettement moins humide et plus froide.

Ces saisons se rapportent aux variations du rendement du fruit de l’arbre à pain. Le cycle rituel de l’année agricole est toujours centré aux îles de la Société sur la fructification du Uru.

Retour dans le monde moderne. Avec le déconfinement progressif en Polynésie dans les îles (les îles principales de Tahiti et de Moorea restant les seules à avoir eu des cas déclarés), les « marins » de la baie d’Avea ont pu reprendre des contacts plus étroits, tout en respectant les gestes barrières.

C’est ainsi que Jean-Christophe, le capitaine du voilier Aquarius, nous prêtait une belle documentation et un logiciel pour comprendre et suivre les étoiles dans le ciel de l’hémisphère sud, depuis nos coordonnées exactes.


Nous pouvons suivre la position des étoiles par rapport à nous heure par heure.

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Philippe, le capitaine du catamaran Galawa, de son côté, se proposait à une initiation à la pratique du sextant, avec renforts de tables de déclinaison et positionnement sur une carte par rapport aux étoiles remarquables…

Ce sujet est trop technique pour l’aborder ici et perdrait la plupart de nos lecteurs, si ce n’est déjà fait !


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Le prochain article reviendra sur Terre et parlera de la reprise des activités liées au déconfinement sur les îles…

 
 
 

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