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17 – 4 semaines de confinement à Huahine

  • Photo du rédacteur: Jo et Jo
    Jo et Jo
  • 18 avr. 2020
  • 11 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 avr. 2020

De retour de Bora Bora avec 8 heures de navigation, nous sommes revenus sur l’île de Huahine le lundi 16 mars, initialement pour faire une étape avant de nous rendre à Papeete.

Le 11 mars, un premier cas d’une députée venant de métropole avait été signalé, mais c’est le mardi 17 mars que d’autres cas de Covid-19 étaient déclarés en Polynésie, apportés par des personnes venant d’Europe.

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Des mesures drastiques d’anticipation ont été mises immédiatement en place, avec un arrêt total des transferts inter-îles, la fermeture des frontières aux non-résidents de Polynésie (mais aussi des mesures visant à ne pas recevoir les polynésiens de retour d’Europe).

Ici les îles sont peu équipées en moyens de réanimation et chacune est appelée à vivre en vase clos, sans apport de touristes désormais cloués sur place en attendant d’être évacués.


Les hôtels et les restaurants - et tout ce qui touche au tourisme - ont fermé les uns après les autres et il est mis en place des mesures de quatorzaine pour tout entrant trié sur le volet (personnel de secours, personnel hospitalier ou enfants rentrant de pension, les écoles étant également fermées).

Nous profitons des derniers moments de mobilité pour faire le plein de nourriture et prévenir nos proches que nous allons entrer en phase d’isolement total.

Dès le samedi 21 mars au matin, les pompiers et la police municipale vont sillonner l’île pour informer les 6.000 habitants par haut-parleurs que le confinement de 14 jours doit être respecté à la lettre.

Un hors-bord de la police municipale passe également de bateau en bateau délivrer les consignes : interdiction de quitter l’île, signaler tout nouveau bateau arrivant sur place (et qui sera systématiquement refoulé) et interdiction d’aller à terre sauf cas d’urgence ou pour vider les poubelles. Mais nous pouvons bouger en bateau au sein du lagon.


Dans ces conditions, nous décidons de quitter Fare la capitale où nous n’avons plus rien à faire pour rejoindre la baie d’Avea au sud et vivre notre confinement dans le bleu du lagon au milieu des poissons.

Un « conseil de guerre » avec d’autres « voileux » avait convaincu trois couples de nous suivre dans notre nouvelle destination.

Parmi ceux qui sont restés à Fare, Jean-Yves Guennec et sa femme, sur le voilier « Jeunes dirigeants », une figure locale.

Jean-Yves, breton comme son nom et son prénom l’indiquent, est un marin passionné qui a fait 3 routes du Rhum en solitaire, la dernière en 2010.

Il vit sur son bateau monocoque de 55 pieds, qu’il a construit grâce au soutien d’un collectif de 800 jeunes dirigeants.

Il a embarqué sur ce bateau de nombreux enfants pour leur enseigner la vie en communauté, le partage des tâches, le respect de la nature et la magie de la mer. Une belle aventure humaine.


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Dans notre groupe, outre Cathy et Pierre-Charles, déjà rencontrés et qui font construire sur place et vivent sur leur voilier jaune « Clémentine », il y a désormais Anne et Philippe, de Provence.

Retraités, ils vivent 6 mois sur leur catamaran « Galawa II » de 43 pieds et 6 mois dans leur maison à Maussane, près de Saint Rémy de Provence. Ils faisaient une étape sur Tahiti et Huahine avant de rejoindre les Tuamotu, en particulier l’île d’Apataki, où se trouve un site réputé pour les réparations et les cales sèches des bateaux. Ils seront cloués sur place, comme nous, jusqu’au feu vert permettant de reprendre la route.

Il y a aussi Els et Jean-Christophe, de Marseille, retraités également qui vivent sur leur voilier monocoque « Aquarius ».

Ces deux couples sont des marins confirmés, vivant à bord depuis 3 ans déjà et ayant effectué de grandes traversées depuis la France. Ils nous parlent de Panama, des Galapagos, des Marquises, des Tuamotu et nous font rêver…


Ce petit groupe constitue désormais la flotte de la baie d’Avea. Nous l’avons trouvée vide en arrivant les premiers le 20 mars, hormis une pirogue qui reste à demeure dans le lagon, devant le relais Mahana. Cet hôtel qui a ouvert sa saison mi-février ferme déjà ses portes, faute de clients et a condamné son ponton d’accès.

Comme un peu partout dans le monde, chacun est appelé à rester chez soi.


Notre confinement se limite désormais à cette communauté de 4 bateaux et de 8 personnes qui n’aura plus de contacts physiques entre eux ni avec d’autres les deux premières semaines et ensuite des contacts les plus limités possibles en respectant les gestes barrières. Cela permet quand même des échanges de nouvelles et un peu de vie sociale.

Avant le durcissement du confinement, nous avions pu enregistrer des centaines de films et de séries, ainsi que des livres électroniques depuis les disques durs de Jean-Christophe et Els. La solidarité entre marins n’est pas une légende.

Nous nous donnons des nouvelles tous les jours par radio sur un canal dédié à nos échanges, tout en respectant l’isolement.


Notre Jo&Jo s’est mis en configuration statique, avec ses 3 tauds pare-soleil sur la partie arrière.

Il y sera rajouté une bâche orange sur l’avant pour faire de l’ombre sur le trampoline et faire ainsi des siestes sur le filet avec un peu d’air et sans avoir à subir les ardeurs du soleil.



Les petites pannes inévitables sont traitées avec les moyens du bord. La pompe d’eau douce nous a lâchée. Nous suspectons d’abord un problème de charbons et de vase d’expansion destiné à mettre le dispositif sous pression et éviter les coups de bélier à chaque sollicitation.

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Après démontage complet et test de toute la chaine de la commande électrique, il s’avère que c’est le contrôleur de pression de la pompe qui ne fonctionne plus.

Le dispositif sera shunté par un bricolage à la Mac Gyver pour commander la pompe par un interrupteur sur le plan de travail. Remède efficace qui nous permet d’avoir de l’eau à l’évier, aux lavabos, aux douches intérieures et à la douche de pont.


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Dans le même temps, le catamaran de Philippe, sans groupe électrogène, ne peut plus faire d’eau douce à bord avec son dessalinisateur, trop gourmand en énergie pour ses panneaux solaires. Il viendra se mettre à couple avec le voilier de Jean-Christophe pendant deux heures pour profiter de son électricité.

Deux jours plus tard, il viendra lui aussi à bout de la réparation et retrouvera son autonomie.


Cathy et Pierre-Charles, dont le projet de construction est de fait brutalement stoppé, et qui vivent sur un voilier devant leur terrain, ont pu acheter une voiture avant le confinement et nous ont proposé leur aide si besoin. Ils s’occupent de plantations sur leur terrain, faute de mieux.


Cette entraide et cette interdépendance sont très appréciables et sécurisantes. Nous savons que nous pouvons compter les uns sur les autres.


Nous avons également nos connaissances à terre, Jean-Christophe et Fabienne, le couple avec qui nous avons fait de la danse tahitienne, qui ont fait construire ici et qui devront attendre la fin de l’épidémie pour pouvoir déménager. C’était prévu pour fin mars. C’est désormais reporté sine die…

Le temps est suspendu, pour tous et pour longtemps.


La première semaine, ils nous ont fait quelques courses de produits frais qu’on est allés chercher sur la plage en annexe, en se parlant de loin et en mettant l’argent sous une pierre. Nous avons aussi pu profiter de la pêche d’un de leurs voisins que nous sommes également allés chercher. Des rougets tout frais péchés sur la barrière de corail dont nous avons fait profiter les autres bateaux. Ainsi, nous avons l’aquarium autour du bateau et nous mangeons des poissons rouges…

Nos amis marseillais étaient particulièrement contents de leurs rougets de l’île…


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Pendant ce temps, Francine et Daniel, un couple de cannois retraités confiné et hébergé chez Tara venaient en kayak nous offrir un régime de bananes et des avocats que nous avons aussi partagés.


Ils passent quasiment chaque jour nous rendre visite à la nage, sans jamais aborder notre bateau. On se donne des nouvelles.


Ce sont les seuls touristes encore présents sur l’île, hormis les gens de voile, interdits de toute navigation. Ils doivent rester en principe jusqu’au 8 mai.

Tous les autres touristes ont été rapatriés sur Papeete et la métropole, parfois de force, les hôtels fermant les uns après les autres.


« Chez Tara » est une institution dans le sud de l’île. Ce restaurant renommé en bord de lagon organise notamment tous les dimanches matin un « four polynésien » très copieux où l’on mange de tout, à volonté. Cet événement attire locaux et touristes. Nous y avions été le 23 février, avant notre périple à Tahaa et Bora Bora.

Le restaurant est bien entendu fermé au commerce mais comme c’est aussi leur habitation, nous les voyons vivre de loin et réciproquement, notre bateau étant amarré juste en face. Tara nous a même gentiment proposé de nous dépanner si nous avions besoin de quelque chose.


Pour le reste, la vie s’organise dans et autour de notre prison dorée, posée dans un des endroits les plus beaux de la terre. Nous sommes ancrés juste en face de cette plage bordée de cocotiers, à une minute de navette par l’annexe.


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Plus le temps avance, plus le confinement qui reste de rigueur s’assouplit quelque peu. Après tout, au bout de 20 jours et aucun cas déclaré sur l’île, et avec un filtrage très strict des entrants (seulement les bateaux de marchandises), le risque n’est pas si élevé.


Il y a aussi les propositions des pêcheurs du lagon. Vaïma, la femme de l’un d’eux, nous propose chaque semaine la pêche du jour. Après les rougets, ce sera autour de magnifiques et délicieux poissons perroquets, pêchés au filet, pour un prix dérisoire.

Nous irons les chercher sur la plage et Sylvie se joindra à Fabienne et Vaïma pour les écailler directement au bord de l’eau sous les cocotiers avant de les rapporter au bateau.

Alternative à l’écaillage des poissons sur la plage, utiliser la jupe arrière du catamaran au soleil couchant.


A quelques coups de palmes, nous sommes dans un jardin de corail au pied du ponton du relais Mahana. C’est là encore un festival de poissons, un ballet de poissons-clowns dans leur anémone, de carangues, ainsi que des poissons chirurgiens et des poissons cochers.



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Il y aussi l’aquagym à l’échelle de babord, avec des exercices quotidiens et du snorkeling, en palmes, masques et tubas au-dessus des patates de corail à 50 mètres de Jo&Jo, où vivent des centaines de poissons.

Sinon la journée est rythmée par des parties de scrabble, de la lecture, un peu de cours d’espagnol et la cuisine, la lessive sur le pont et bien sûr la sacro-sainte sieste pour le capitaine, qui ne dort que d’un œil.


Chaque soir, nous avons le spectacle de magnifiques couchers de soleil sur les montagnes de l’île de Raiatea sur laquelle s’accrochent les nuages.

Ces nuages sont générés en journée par le différentiel de température entre l’air sur la mer et l’air sur la terre.

La convection naturelle de l’air chaud sur la terre génère des nuages côtiers et surtout un petit vent appelé brise de mer, l’air sur la mer venant remplacer l’air qui s’est élevé sur la terre dans un circuit continu.

Il est d’autant plus actif que le différentiel de température est important. Le soir, ce circuit s’inverse, la terre se refroidissant plus vite que la mer.



Sans accès aux chaines de télévision (quelle chance en cette période de pandémie surexploitée par les médias), les films et séries prennent le pouvoir.


C’est une séquence idéale pour visionner un peu chaque jour les 73 épisodes des 8 saisons de « Games of Thrones » dont nous sommes enfin venus à bout, avant d’enchaîner sur 73 épisodes de « House of Cards », puis ce sera le tour des « Tudors », « Kaamelott », « Cold Case » et « Un village français ».


De quoi tenir plusieurs mois…

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Chaque matin, au prix d’essais laborieux de connexion, nous recueillons les nouvelles les plus importantes, suivant l’évolution du monde et les consignes de Polynésie. Un tableau nous informe sur le cumul des cas recensés, ainsi que leur localisation, qui ne concernent que l’île de Tahiti et de Moorea, les plus peuplées, les plus actives et les plus cosmopolites.


Ci-dessus, la situation au 17 avril trouvée sur le site gouvernemental. Aucun nouveau cas déclaré depuis 5 jours.


Rien d’alarmant mais les consignes sont ici très strictes et chaque île vit en vase clos. Sylvie va chaque mercredi faire quelques courses au supermarché de Fare avec Fabienne, et ne peut y entrer qu’avec son attestation… et son masque, bien qu’il ne soit pas obligatoire ici.

Les gestes barrières sont respectés, et le trajet d’une demi-heure se fait avec Fabienne au volant et Sylvie sur le siège arrière du pick-up…


Le supermarché de Fare est exceptionnellement bien pourvu en marchandises. On y trouve de tout. La seule marchandise prohibée totalement est le vin, la bière et l’alcool, ce qui s’explique par la consommation soutenue de la population locale en temps normal. C’est d’ailleurs ce qui les gêne le plus dans les mesures de confinement, ceci expliquant cela… Dommage quand même de déguster les poissons sans un verre de vin blanc, mais c’est moindre mal.

Seule concession, une bouteille de pastis et de sirop d’orgeat, achetés avant la prohibition, nous rappelant de temps en temps, pendant une partie de Scrabble au soleil couchant, le chant des cigales de la Provence…


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Le mardi 9 avril, nous sommes informés que « La Carte aux Trésors » sur l’archipel de la Société est diffusé sur France 3.

Nous ne pourrons pas hélas le voir mais nous saurons que le tournage a pris, quelques mois plus tôt, les routes que nous avons faites avec « Jo&Jo ».

La partie finale a été tournée au sud de Huahine, après la pointe Tiva visible de notre bateau, sur un motu à moins de 2 kilomètres en annexe.


Nos recherches sur internet à propos de la Carte aux Trésors nous ont alerté sur l’histoire d’un couple en perdition au milieu des Tuamotu, à cause du confinement et de l’interdiction de naviguer, qui ont fait l’objet d’une information de la chaine LCI.

Il s’agit de Fabrice et Isabelle, un couple de lyonnais d’une cinquantaine d’années, venus passer 9 mois sabbatiques en Polynésie en louant un catamaran de la même taille que le nôtre. Ils ont été nos voisins de ponton pendant une semaine à la marina de Papeete et nous avons sympathisé autour d’un Ti’punch sur « Jo&Jo ».

Nous avions pris une option pour racheter leur machine à laver à leur départ de Tahiti début mai. Nous connaissions leur projet d’aller aux Tuamotu.


"Voilà quinze jours que nous avons l'interdiction de naviguer", témoigne Isabelle auprès de LCI. "Nous voulions rejoindre l'atoll de Rangiroa, mais on nous a dit qu'il était impossible de circuler. Nous n'avons presque plus d'essence et nous n'avons plus que pour 10 ou 12 jours de provisions", explique la Lyonnaise. "La première épicerie est à deux heures de catamaran. Il nous faudrait deux jours de navigation pour rejoindre Papeete. On est coupé du monde."


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Cette recherche d’informations nous a également conduits à trouver un reportage diffusé dans le magazine « 7 à 8 » d’Harry Roselmack rediffusé le 22 mars 2020, racontant la vie d’un couple qui a décidé de vivre sur un bateau en Polynésie avec leurs deux enfants.

Là encore, nous retrouvons le catamaran « Suricat » qui était à 20 mètres de nous au ponton de la marina de Papeete.


Ce bateau est facilement reconnaissable au dessin des 4 lémuriens dessinés sur la coque, figurant la petite famille qui s’est posée ici et qui l’habite en permanence.


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Dimanche 12 avril, jour de Pâques. Jean-Christophe, le capitaine de l’Aquarius, le voilier blanc, passe nous voir en annexe pour nous offrir deux parts de gâteau confectionnés par Els, son épouse.

Ajouté à cela les cadeaux de quelques bananes et pamplemousses apportés en kayak par nos amis cannois et nous voici dotés en fruits frais pour quelques jours.


Comment ne pas penser au (faux) dicton des marins polynésiens vécu cette année : « Noël au ponton, Pâques au lagon »…



Lundi 13 avril, la France renforce ses mesures. La Polynésie, bien qu’indépendante, s’était alignée sans surprise avec un confinement jusqu’au 29 avril.


Pour autant, après un mois de mesures de confinement strict, et seulement 55 cas confirmés au 17 avril (sans nouveau cas depuis 4 jours), concentrés sur les îles de Tahiti et de Moorea, le président de la Polynésie et le Haut-Commissaire de la République française annoncent conjointement une levée partielle du confinement sur les autres îles à compter du lundi 20 avril. Une plus grande liberté est donnée, sans attestation de circulation, mais tout déplacement inter-îles, par avion ou bateau, reste interdit.


Nous sommes condamnés à rester ici encore quelque temps, dans une prison dorée avec une peine aménagée que beaucoup nous enviraient.


Après tout, ce n’est qu’une pause dans notre périple et nous apprécions la chance d’être ici, si bien entourés par cette magnifique nature et cette touchante solidarité…

 
 
 

1 commentaire


GONZALEZ ROBERT
19 avr. 2020

Quel plaisir d'avoir de vos nouvelles en cette période assez paradoxale entre virus / décès et une autre vie :

moins de bruit, plus de chant d'oiseaux, moins de voitures, plus de promenades etc...

et surtout un monde où à chaque rencontre de quidam , on dit ce que l'on n'osait pas , ne faisait pas avant << Bonjour ! ou Bonsoir ! >> suivant l'heure à la laquelle on promène. La politesse primaire revient comme par enchantement.

On redécouvre tous les lieux de proximité, le moindre petit chemin campagnard, jardin perdu derrière des buissons, manade cachée par une haie...

Une solidarité retrouvée où l'humain retrouve enfin sa place essentielle.

Juste ce petit mot pour que vous sachiez que l'on…


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